Ignoré des

 

Longtemps représenté comme un "monticule", le sommet de l'Europe fut dessiné
topographiquement pour la première fois au
XVIIe siècle. Une exposition raconte... XVIIe siècle. Une exposition raconte...

Conçue comme une vaste rétrospective couvrant plus de quatre siècles, de 1515 à 1925, ou de Jacques Signot -l'espion de François Ier- à Joseph Vallot -le gentleman cartographe-, l'exposition offre l'occasion de redonner au thème de la montagne et de sa représentation toute son importance. Le regroupement d'un peu plus de soixante cartes (duché de Savoie, Suisse, Piémont) matérialise les efforts des cartographes confrontés au problème de la représentation du relief, met en évidence la lente, imprécise et progressive décou- verte du massif du Mont-Blanc, pourtant situé au cœur de l'Europe.
Depuis l'époque de Ptolémée jusqu'à la fin du XVIIe siècle, la montagne n'a guère retenu l'attention des scientifiques. Jadis considérés comme la demeure d'esprits malins et des âmes des défunts dont il était prudent de ne pas s'approcher, ces "sommets inutiles" furent négligés par les cartographes, tout à l'avantage des cols, estimés importants parce qu'ils permettaient le passage entre les vallées et les Etats. Les cartographes se contentaient de signaler la présence des montagnes par des signes conventionnels qui ne donnaient aucune idée de la hauteur des cimes, pas plus que de l'extension de la chaîne alpine. Les montagnes étaient représentées comme des "taupinières" ou des "monticules", indiquant simplement la présence de reliefs sans en définir les dimensions ni l'escarpement des"vallées. les cartes les plus anciennes montrent que l'on avait parfois recours à des artifices pour donner de la vérité au figuré cartographique. C'est ainsi que, pour indiquer les versants opposés d'une montagne, on inversait l'écriture des noms des lieux situés sur le versant opposé à celui que pouvait observer le lecteur...

Si, durant toute cette période, il n'y eut pas de nouveautés significatives dans la représentation des montagnes, c'est notamment parce que les cartographes persistaient à se conformer aux modèles proposés par ceux qui les avaient précédés. N'ayant pas visité personnellement ces lieux, se fiant, pour les dessiner, aux informations que d'autres en avaient fournies, les cartographes ne pouvaient pas donner une description exacte de ces montagnes inaccessibles, ni des vallées.
Dans ce contexte de la cartographie alpine naissante existent néanmoins, au début du XVIe siècle, deux exceptions significatives: le Français Jacques Signot et le Suisse Aegidius Tschudi. Chargé par François 1er de décrire les routes et les cols que l'armée royale pour- rait emprunter afin de pénétrer en Italie, Jacques Signot dessina et décrivit pour la première fois, en 1515, dix cols alpins mais reste muet sur toute la zone du Mont-Blanc. En 1538, Tschudi publia à Bâle une grande carte murale de la Suisse représentant la chaîne alpine depuis le lac de Genève jusqu'à l'Engadine. Assortie de nombreux toponymes en latin, en allemand et parfois en français, cette carte illustre avec précision les cols et les vallées. Pour répondre à d'évidentes nécessités stratégiques et commerciales, les auteurs ont focalisé leur attention sur les lieux de passage, "lieux utiles", négligeant la zone du Mont-Blanc: Jacques Signot se borne à mentionner les cols du Petit et du Grand Saint-Bernard qui autorisaient un trafic plus dense et bien connus comme voies de communication essentielles; Tschudi se contente d'indiquer le Faucigny comme" Jas ftsseneier far.Mais la carte primitive de Tschudi a servi de base à plusieurs autres, dont l'atlas d'Ortelius publié à partir de 1570. le massif du Mont-Blanc demeura long- temps ignoré des cartographes. Il ne s'agissait pas d'une région de passage, la chaîne des "Glacières" formant barrière. Le mont Blanc, malgré sa majesté et l'étendue de sa chaîne, resta pendant des siècles dans un magnifique" isolement cartographique", renforcé sans doute par les légendes qui en avaient fait un domaine réputé infranchissable et dangereux pour les voyageurs. Ainsi on raconte la victoire de saint Bernard de Menthon sur le diable qu'il relégua dans les montagnes, lesquelles devinent alors "maudites". La chaîne du Mont-Blanc fut aussi long- temps ignorée car dépourvue de toute importance militaire aussi bien du côté français que de la Savoie. En 1606, il est fait allusion spécifiquement au mont Blanc dans la carte de Jacques Goulart qui sera reprise par de nombreux cartographes. Les deux cartes du Français Nicok\s Sanson de 1648 et 1663 parviennent à une bonne description topographique de la zone du mont Blanc. Côté Piémont, la grande carte de Madame Reale de Borgonio (1682) indique "les Glacières" au nord de Chamonix, englobant les sommets et les glaciers. En 1728, le roi Victor-Amédée II de Savoie entre- prend un levé pour établir des plans cadastraux; la chaîne du Mont-Blanc commence alors à intéresser les cartographes. Il faudra attendre 1772 et la révision de la carte de Borgonio par le bureau des ingénieurs topographes de la cour de Savoie pour que le massif soit correctement situé du point de vue cartographique mais avec une toponymie encore incertaine: mont Malet; mont Maudit.

Ce n'est qu'en 1778 que le toponyme "mont Blanc" apparaît sur une carte de la Suisse imprimée par le cartographe anglais William Faden, toponyme inspiré du "panorama" d'un' Genevois, Pierre Martel, annexé à son rapport réalisé lors d'un voyage à Chamonix en 1742. A par- tir de ce moment, le mont Blanc devient un sommet phare. Les récits de voyages et les livres en étendront par la suite la renommée auprès des touristes et des alpinistes, Surtout anglais. Le Voyage aux Glacières de Savoie fait en 1762, par Louis- Alexandre de La Rochefoucauld en fait partie. La publication par Horace-Bénédict de Saussure de ses Voyages dans les Alpes, entre 1779-1796, fut déterminante pour le passage des cartes générales de la Savoie aux cartes spécifiques du massif du Mont-Blanc. Grâce au prestige dont il jouissait et à la diffusion des différentes éditions de cet ouvrage, les résultats s'imposeront au public cultivé de l'Europe entière. En 1788 on recense 102 touristes à Chamonix, dont 49 Anglais. Ceux-ci vont faire de Chamonix une destination privilégiée. Il faut aussi signaler l'œuvre du peintre et dessinateur suisse Marc- Théodore Bourrit. Ses descriptions, publiées en petit format, constitueront en quelque sorte les premiers "guides" à l'usage des touristes. Autour de 1850, Chamonix est tant et si bien devenue la "capitale des Alpes" qu'en 1854, Zermatt est baptisée par le guide Murray la "Young Chamonix". Dès lors, le massif du Mont- Blanc fait l'objet d'études détaillées de la part des cartographes qui le représentent avec de plus en plus de précision. I'Ecossais Forbes, l'Anglais Adarns-Reilly et le Français Mieulet achèveront la cartographie du mont Blanc. Alors qu'au XIXe siècle on dénombre seulement trois ou quatre cartes spécifiques du mont Rose et du Cervin, le mont Blanc en compte à tout le moins dix. Après tant d'années d'oubli, c'est son triomphe cartographique ! Cette exposition est parsemée de gravures, textes et instruments de mesure liés à l'histoire du mont Blanc. C'est aussi une invitation esthétique pour les amoureux de la cartographie.

                  Article du Géomètre février 2001